Le droit des aides d’État est une matière injustement (et imprudemment) méconnue

Afin d’aider à combler ce vide, nous proposons une présentation synthétique des règles en vigueur. Pour le bien de tous, cette présentation est formulée dans un langage clair.

Le droit des aides d’État limite l’action des pouvoirs publics

Le droit des aides d’État réglemente – et limite – l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie. Pour résumer, disons à ce stade que toute subvention offerte par les pouvoirs publics à une entreprise doit au préalable être autorisée par la Commission européenne.

Ne nous le cachons pas, un tel contrôle hérisse le poil des deux côtés de l’échiquier politique : les partisans d’une politique industrielle dirigiste, d’une part, et les souverainistes-nationalistes d’autre part, supportent mal que l’action de l’État soit contrainte – qui plus est par la Commission européenne, qui n’a pas bonne presse par les temps qui courent.

Dès lors, dans un effort pédagogique, les lignes qui suivent présentent la raison d’être du contrôle des aides d’État (1), avant d’en exposer les principes gouverneurs (2).

1. Pourquoi un contrôle des aides d’État ?

La mise en place d’un contrôle des aides d’État a pour ambition de permettre la réalisation d’un certain nombre d’objectifs, tant économiques que politiques :

  • empêcher les distorsions de concurrence (discrimination entre les entreprises aidées et non aidées) ;
  • lutter contre les pratiques de lobbying des entreprises nationales auprès des autorités nationales pour obtenir des fonds ;
  • lutter contre les déficits publics (les politiques d’aides aux entreprises creusent les déficits publics) ;
  • empêcher une course aux subsides entre États membres (ex. : afin d’éviter des délocalisations résultant d’une mesure d’aide prise par l’État 1, l’État 2 enchérit par une mesure d’aide à ses propres entreprises).

2. Quelles sont les principales règles du droit des aides d’État ?

Les aides d’État aux entreprises sont en principe interdites

L’article 107 (1) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne tient pour « incompatible avec le Traité », toute aide d’État octroyée à une entreprise.

  • Il faut donc que l’aide soit attribuée à « une entreprise » au sens du Traité européen (les aides aux travailleurs, ou au consommateur, par exemple, ne sont pas concernées).
  • Ensuite, il faut que la mesure soit une « aide d’État ». L’existence d’une « aide d’État » est subordonnée à la réunion de cinq conditions cumulatives. La mesure doit :
    1. Impliquer un transfert de ressources publiques (que celles-ci proviennent de l’État fédéral, des Régions Communautés, communes ou tout autre démembrement de l’autorité publique) ;
    2. octroyer un avantage économique à l’entreprise ;
    3. impliquer une dimension sélective (toutes les entreprises ne bénéficient pas la mesure) ;
    4. entrainer une distorsion, à tout le moins potentielle, de la concurrence ; et
    5. affecter le commerce entre États membres.

Si l’ensemble de ces conditions sont réunies, la mesure est une aide d’État à une entreprise et, en conséquence, est en principe interdite.

Par exception, les aides d’État peuvent être autorisées par la Commission européenne

Les pouvoirs publics belges mettent une grande variété d’aides à la disposition des entreprises, pour en favoriser le développement. Faut-il déduire de ce que nous avons exposé ci-dessus que l’État est systématiquement dans l’illégalité ?

Intuitivement, on comprend qu’une échappatoire existe : l’aide d’État peut être autorisée par la Commission européenne.

Notification préalable de la mesure d’aide

La Commission européenne peut, par exception, autoriser une aide d’État.

Ceci suppose que l’aide d’État soit « notifiée » (communiquée) à la Commission :

  • préalablement à son octroi (faute de quoi, l’aide sera « illégale » pour non-respect de la procédure) ;
  • et que la Commission déclare l’aide « compatible » avec le Traité (faute de quoi, l’aide sera « incompatible » avec le Traité).

Lorsqu’une aide est notifiée à la Commission, celle-ci procède à une étude complète de l’effet probable de l’aide sur le marché.

La procédure et la méthodologie suivies pour apprécier la compatibilité d’une aide ont été publiées et sont connues, quoique la Commission conserve un pouvoir d’appréciation discrétionnaire dans l’exercice de son contrôle.

Exemption de l’obligation de notification

Le contrôle de l’ensemble des aides d’État étant particulièrement chronophage, la Commission a déclaré un certain nombre d’aides compatibles a priori, pourvu qu’elles respectent des conditions strictes.

Il existe donc un certain nombre d’exceptions (de sous-exceptions, pour être plus exact), dans lesquelles la mesure d’aide ne doit pas être notifiée à la Commission européenne. Il s’agit des :

Par exemple, le RGEC autorise les aides à l’assainissement des sites pollués, pour :

  • prendre en charge les coûts supportés pour les travaux d’assainissement, déduction faite de l’augmentation de la valeur du terrain ; où
  • 100% des coûts précités peuvent être pris en charge ; et pourvu que,
  • le montant total de l’aide ne dépasse pas les 15 millions EUR par entreprise et par projet d’assainissement.

Il est important de ne pas faire d’erreur d’analyse dans la mise en œuvre de ces instruments. Une aide qui devait être notifiée sera illégale. Elle sera éventuellement aussi incompatible. Ce type d’erreur peut être sanctionné par l’obligation de rembourser l’aide (v. ci-dessous).

Motifs pour lesquels une mesure d’aide peut être autorisée

Au stade du contrôle de la compatibilité de l’aide, il s’agit pour la Commission de vérifier si l’aide d’État est nécessaire pour :

  • répondre à une « défaillance de marché », dont, par exemple :
    • la formation de la main-d’œuvre professionnelle ;
    • le financement des PME ;
    • le financement de projets de recherches et de développement ;
    • le financement de projets relatifs à la protection de l’environnement ;
      • aide en faveur des mesures d’efficacité énergétique et permettant aux entreprises d’aller au-delà des normes de protection environnementale ;
      • aides à l’investissement en faveur de :
        • la cogénération à haut rendement ;
        • de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ;
        • des réseaux de chaleur et de froid efficaces ;
        • des infrastructures énergétiques ;
      • aide à l’assainissement des sites contaminés ;
      • aide à l’investissement en faveur du recyclage et du réemploi des déchets ;
      • aide aux études environnementale
  • la correction des risques systémiques (aides au secteur bancaire) ;
  • rencontrer un « objectif social », dont, par exemple :
    • l’embauche des travailleurs handicapés ;
    • l’émergence d’un entrepreneuriat féminin ;
    • la promotion de la culture et la conservation du patrimoine ;
    • la création d’infrastructures locales ;
    • la création d’infrastructures sportives et multifonctionnelles ;
    • la correction des disparités géographiques de développement économique (aides régionales aux régions européennes en difficulté
  • sauver et/ou restructurer une entreprise en difficulté (mesure exceptionnelle) :
  • permettre la sauvegarde ou le développement de certains secteurs stratégiques :
    • agriculture et pêche ;
    • haut-débit ;
    • électricité ;
    • production de navires ;
    • secteurs du transport (aérien, maritime, ferroviaire et routier).
    • industrie automobile ;
    • services postaux ;
    • industrie du charbon ; industrie de l’acier ;
    • production et émissions audiovisuelle ;

Les aides d’État illégales ou incompatibles avec le Traité doivent être remboursées

Il est fort imprudent de négliger le droit des aides d’État. Une aide illégale et / ou incompatible, est sanctionnée par l’obligation de rembourser l’aide.

L’action en remboursement se prescrit en 10 ans. Potentiellement, ce sont donc dix années d’aides qui doivent être remboursées en principal et intérêt.

Un ordre de remboursement peut être donné :

  • par la Commission européenne, lorsqu’une enquête sur le fonctionnement du marché lui permet de prendre connaissance de la distribution d’une aide d’État incompatible ;
  • par le juge national, saisi par une entreprise concurrente, mécontente de la rupture d’égalité qui est survenue en faveur du bénéficiaire de l’aide.

L’obligation de remboursement incombe à l’entreprise qui a bénéficié de l’aide. Or, lorsqu’il s’agit de rembourser 10 années d’aides, la charge est telle que l’obligation de remboursement mène de nombreuses entreprises à la faillite.

En cela, le fait que l’État soit responsable d’avoir distribué une aide interdite ne change rien : l’obligation de remboursement demeure. Tout au plus, l’entreprise peut-elle engager la responsabilité de l’État pour la portion du dommage distincte de l’obligation de remboursement.

Il importe donc d’être particulièrement prudent :

  • pour l’entreprise, le risque est de devoir subitement rembourser des sommes colossales ;
  • pour les pouvoirs publics (qui récupèrent les sommes distribuées) le risque est de voir plusieurs années d’efforts pour développer un tissu économique efficace être mises à néant.

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Pour plus d’informations, il est possible de naviguer parmi les différentes publications du présent site internet. Si vous souhaitez plus d’information sur cette matière méconnue, n’hésitez pas à nous contacter.

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Comme à notre habitude, le pied de page est l’occasion de référencer un certain nombre de sources de qualité sur le sujet, à l’attention des lecteurs qui souhaitent aller plus loin :

Sources en ligne :

Sources papier :