Est-il autorisé de photographier les monuments célèbres ?
Il s’agit d’une là question fréquente qui revient régulièrement dans la bouche des amateurs de photographie et à laquelle la réponse est parfois hésitante (voyez ici).
Pour appréhender ce problème, je me propose de passer en revue plusieurs illustrations choisies pour leur valeur pédagogique, soit :
- des clichés de vacance pris par un groupe d’amis devant la Tour de Pise,
- des photographies professionnelles de la Venus de Milo prises afin d’illustrer un ouvrage sur la Grèce antique,
- des clichés des bâtiments de la Commission européenne ; ou
- de l’intérieur de la gare de Liège-Guillemins
La Tour de Pise
Tout auteur d’une œuvre est maître de l’exploitation de l’image de son œuvre (pourvu toutefois que la condition d’originalité soit remplie). Il en résulte que l’architecte à l’origine du dessin d’un monument peut seul autoriser la prise de vue de l’immeuble qu’il a créé. Pourtant, il va de soi que ni Giovanni di Simone – architecte auquel le dessin de la Tour de Pise est le plus souvent attribué – ni ses ayants-droits ne peuvent plus s’opposer à la prise de clichés de la tour penchée. Ceci est dû à l’extinction du droit d’auteur, lequel prend fin 70 ans après le décès de l’auteur – du moins en droit belge. Les droits de Giovanni di Simone ou de ses héritiers s’étant éteints au cours du XIVème siècle, les vacanciers de passage en Toscane peuvent à l’envi immortaliser leurs efforts pour retenir la tour dans sa chute.
La Venus de Milo
Qu’en est-il pour la Venus de Milo ? La volonté d’exploiter commercialement les clichés d’Aphrodite changent-ils la donne ? Non pas : ni les découvreurs de la statue, ni le Musée du Louvre ne détiennent de droits sur l’image de la statue.
Par contre, la police intérieure du musée s’applique : sauf dérogation expresse, les photographies ne peuvent donc se faire avec flash à l’intérieur du Louvre. Eventuellement, des photographies prises en violation de la police intérieure du musée pourraient donner lieu à des poursuites pour violation du contrats auquel le visiteur a accepté de se soumettre en achetant son billet.
Le Parlement européen
Lorsque les droits de l’auteur ne sont pas éteints, celui-ci peut s’opposer à toute reproduction de l’image de son œuvre faite sans autorisation, que celle-ci soit faite à titre lucratif ou non ; à titre privé ou public.
Dans la rigueur des principes, le titulaire des droits d’auteur peut s’opposer à toute reproduction de son œuvre, que celle-ci soit l’objet même de la photographie ou uniquement un élément plus secondaire. On imagine cependant mal qu’un juge interdise une photographie au seul motif qu’un monument protégé par le droit d’auteur apparaisse à l’arrière-plan du cliché, de manière tout à fait adventice. La théorie de l’abus de droit devrait permettre de faire pièce aux prétentions excessives de l’auteur du monument.
Pour la petite histoire, on relèvera qu’un conflit est actuellement pendant entre les architectes qui ont dessiné les bâtiments de la Commission européenne et les institutions européennes. La Commission européenne révèle en effet que « pour des raisons de droits d’auteur » toutes les photographies relatives aux bâtiments des institutions européennes ont dû être retirées de son site internet.
L’Union se trouve donc actuellement dans la situation absurde où, pour ne pas avoir songé à négocier le transfert des droits d’auteur lors de la conclusion du contrat d’architecture, elle ne peut disposer de l’image des bâtiments dont elle est pourtant propriétaire.
La communication fait également valoir que les institutions travaillent actuellement à la résolution de ce problème, « afin de pouvoir redifuser ces images ». A ma connaissance, ce message est en ligne depuis au moins cinq ans.
L’intérieur de la gare de Liège-Guillemins
Les règles ne changent évidemment pas selon que la photographie est prise à l’intérieur ou à l’extérieur du monument. Une photographie de l’intérieur de la gare des Guillemins pourrait donc en principe être contestée par l’architecte des lieux, Santiago Calatrava.
En l’occurrence toutefois, les droits d’auteur sur la gare ne sont plus détenus par l’architecte mais ont été transférés à un tiers. Après quelques recherches – l’identification du titulaire actuel des droits peut parfois s’avérer fastidieuse – il apparaît que les droits d’auteur sur la gare de Liège-Guillemins sont aujourd’hui exercés par la SNCB, seule à même d’autoriser la prise d’images.
D’après les informations que j’ai pu obtenir, la politique de gestion de l’entreprise des chemins de fers consiste à distinguer selon que la photographie est utilisée à titre commercial ou non. Dans ce dernier cas, l’usage est libre et gratuit ; pour tout usage commercial, la SNCB demande une redevance de 1.000 euros.
A cet égard, la SNCB considère que les photographies de la gare des Guillemins utilisées pour illustrer un site internet promotionnel (ex. : le site internet d’un restaurant situé en région liégeoise) sont des photographies utilisées à titre commercial devant donner lieu au paiement de la redevance. Plusieurs administrateurs de site internet auraient ainsi déjà été contactés par la SNCB, laquelle les aurait enjoints de choisir entre le retrait des photographies litigieuses de leur site internet ou le versement de la redevance.
A bon entendeur.