Cartel, amende et transaction dans le secteur de la grande distribution
L’autorité belge de la concurrence impose une amende record de 174 millions d’euros aux entreprises actives dans la grande distribution (Carrefour, Delhaize, Colruyt, Makro, Cora), pour avoir convenu d’une hausse coordonnée des prix de produits de droguerie, d’hygiène et de parfumerie, en collusion avec leurs fournisseurs, (Colgate, L’Oréal, Procter & Gamble, et quelques autres). Pour la première fois, l’autorité de la concurrence a eu recours à la procédure de transaction et offre une ristourne de 10% sur le montant total de l’amende.
La présente note, loin de se vouloir exhaustive sur le sujet de la transaction, constitue la trame d’une interview donnée sur les ondes de la RTBF dans l’émission Matin Première au sujet de la décision « grande distribution » (à partir de 666’).
Elle prend appui sur un article plus substantiel co-rédigé avec Laurent DEMUYTER, intitulé « Une transaction en droit belge de la concurrence ? » paru dans la Revue belge de concurrence.
Enfin, la présente est également concomitante à une brève interview donnée dans le journal Le Soir et intitulée « La transaction, c’est gagnant-gagnant ».
Qu’est-ce qu’un cartel ? Les cartels sont-ils chose courante ? Comment sont-ils sanctionnés ?
Le cartel – soit l’accord qui a pour objectif de suspendre la concurrence entre entreprises rivales – est une infraction grave (voire « très grave ») au droit de la concurrence.
Les statistiques publiées par la Commission européenne en matière de cartel sont édifiantes. Pour les quinze années comprises entre 2000 et 2014, nonante-trois cartels ont été sanctionnés par la Commission européenne, et ont donné lieu à des amendes ayant dépassé à plusieurs reprises le milliard d’euros (1.470.515.000 euros pour le cartel des tubes cathodiques).
Les résultats de l’autorité belge sont un peu moins impressionnants. Entre 2007, date à laquelle l’Autorité belge de la concurrence a été une première fois refondée, et 2015, on peut compter 25 décisions sanctionnant des cartels. En matière d’ententes, le précédent record de l’autorité belge était fixé à 15 millions d’euros dans un cartel du ciment mais, dans la plupart des cas, l’amende ne dépassait pas les quelques centaines de milliers d’euros. Avec cette amende de 173 millions d’euros, l’Autorité de la concurrence atteint des sommets inédits.
Qu’est-ce que la procédure de clémence ? N’est-ce pas immoral ?
La procédure de clémence permet à une entreprise qui est membre du cartel de dénoncer l’infraction à laquelle elle participe pour bénéficier d’une immunité d’amende[1].
Le montant faramineux de certaines amendes a déjà été mentionné. Pourtant, la plupart des économistes considèrent que ces amendes – colossales – sont toujours insuffisantes, et sont en tous cas sont inférieures au montant du dommage causé au consommateur par la hausse des prix. Nous sommes donc confrontés à un mal tout à fait sérieux contre lequel l’autorité publique a du mal à lutter. La situation est telle qu’une réforme a été introduite pour permettre l’imposition des sanctions individuelles contre les dirigeants d’entreprises qui organisent le cartel.
Malgré les bons résultats engrangés ces dernières années dans la lutte contre les cartels, il semble que le nombre de cartels détecté est encore très inférieur au nombre de cartels qui parviennent à rester dans la clandestinité. Quel est le chiffre gris ? Certaines études estiment qu’il y aurait cinq fois plus de cartels non détectés que de cartels sanctionnés. Toutefois, puisque ces cartels sont secrets, il est par définition très difficile d’obtenir des données certaines. Dans tous les cas, l’idée dominante est que nous ne connaissons que le sommet de l’iceberg.
Dans ces circonstances, nécessité fait loi : la procédure de clémence permet d’encourager à la dénonciation pour que le cartel s’écroule. C’est d’ailleurs ce qu’on doit conseiller à toute entreprise qui serait partie à un cartel : dénoncer avant d’être elle-même dénoncée, pour que le cartel s’écroule, au bénéfice du consommateur.
Pour la première fois, l’Autorité de la concurrence a recours à la procédure de transaction. De quoi s’agit-il ? Quels en sont les avantages ?
La transaction est un mécanisme que l’on peut rapprocher du « plaider coupable » qui existe dans certains Etats en droit pénal.
La transaction intervient après que l’Autorité publique a déjà constitué un dossier solide à charge des entreprises qui ont commis une infraction. Dans ce contexte, l’autorité publique propose aux entreprises poursuivies de reconnaître leur participation à l’infraction contre une réduction de l’amende, laquelle peut aller jusqu’à 10% du montant total. Lorsqu’il y a accord, c’est un résultat « gagnant-gagnant » :
- les entreprises reconnaissent leur culpabilité en échange d’une réduction d’amende à la fois modeste, mais significative ;
- pour l’autorité publique, cela permet de clôturer le dossier sans devoir réaliser plus d’efforts procéduraux. Requérir une condamnation prend souvent beaucoup de temps et d’efforts – on parle de plusieurs années. La transaction permet de condamner plus vite une situation qui n’est plus contestée.
Or, l’Autorité belge de la concurrence soufre aujourd’hui encore d’un manque de ressources humaines pour enquêter. En cela, il est particulièrement regrettable que le gouvernement fédéral actuel ait gelé – pour des motifs budgétaires – toute nouvelle nomination.
C’est regrettable et c’est absurde! Une autorité de la concurrence qui fonctionne peut faire rentrer des amendes de plusieurs centaines de millions d’euros dans les caisses de l’Etat. Le recrutement de quelques dizaines d’inspecteurs supplémentaires peut être très vite, très rentable.
Vous souhaitez en savoir plus sur cette affaire, la clémence ou la procédure de transaction?
N'hésitez pas à nous contacter[1] Pour en savoir plus sur la dynamique des politiques de clémence, voyez « Granting Incentives, Deterring Collusion : The Leniency Policy », un Working Paper rédigé par mes soins en 2009.