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Pièces de rechange (ou « pièces détachées ») et droit de la concurrence

Dans une précédente note, nous expliquions que la propriété intellectuelle permet de protéger les pièces détachées. Cependant, tout n’est pas permis.

Le droit de la concurrence limite les droits du producteur de pièces détachées/détenteur de droits de propriété intellectuelle, afin de permettre une concurrence effective sur le marché de la réparation.

Les lignes qui suivent présentent les voies d’action ouvertes aux réparateurs et aux producteurs rivaux de pièces détachées, contre un producteur de produits finis qui userait de ses droits intellectuels pour les empêcher d’exercer leurs activités.

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Pièces de rechange : abus de position dominante du constructeur

Le droit des dessins et modèles permet de protéger les pièces de rechange (certes, de manière limitée ; celles-ci doivent en principe plutôt être protégées par le droit des brevets).

Le constructeur d’un produit fini complexe (voiture, GSM, montre, etc.) contrôle souvent tout le processus de construction : soit qu’il a conçu toutes les pièces et qu’il dispose des droits intellectuels sur celles-ci, soit que son pouvoir de négociation lui a permis d’imposer ses conditions à ses sous-traitants.

Ceci lui permet de se faire rémunérer deux fois : lors de la vente du produit primaire, et lors de la vente des pièces détachées sur le marché secondaire de la réparation, qu’il contrôle.

Le contrôle de la construction a souvent pour effet de placer le constructeur d’origine en position dominante sur le marché des pièces de réparation [1]. Or, cette position dominante crée une « responsabilité particulière » de ne pas abuser de sa position de force, et est susceptible de justifier des obligations particulières.

Peuvent constituer des abus de position dominante (comportement interdits) :

  • « le refus arbitraire de livrer des pièces de rechange à des réparateurs indépendants ;
  • la fixation des prix des pièces de rechange à un niveau inéquitable (excessif) ; ou,
  • la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle, alors que beaucoup d’unités de ce modèle circulent encore » [2].

Des pratiques commerciales destinées à empêcher l’entrée sur le marché de producteurs de pièces détachées concurrents constituent un autre type d’abus.

Ceci est illustré par l’affaire des capsules Nespresso. En l’espèce, plusieurs pratiques avaient été déployées en vue d’inciter les consommateurs à n’utiliser que des capsules Nespresso :

  • sur le plan technique : 4 modifications avaient été apportées en 6 ans aux machines Nespresso en vue de rendre les capsules de fabricants concurrents incompatibles avec les nouveaux modèles ;
  • sur le plan juridique : Nespresso avait apposé sur les machines Nespresso, sur leur emballage, dans leur mode d’emploi et dans la garantie, des mentions incitant les consommateurs à n’utiliser que les capsules de marque Nespresso ;
  • sur le plan commercial : Nespresso avait développé dans la presse et dans ses boutiques, une communication incitant les consommateurs à n’utiliser que les capsules Nespresso.

L’Autorité française de la concurrence considéra que ces pratiques étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante. Nespresso transigea et – entre autres engagements – accepta de fournir aux producteurs de capsules concurrents les fiches techniques de ses futures machines, plusieurs mois avant leur commercialisation.

D’autres décisions de jurisprudence méritent également d’être mentionnées. Une série d’arrêts, notamment, sanctionne les comportements qui tentent de retenir à la douane les produits d’import/export qui contrefont les droits intellectuels du constructeur, alors même que les droits en cause (dessin et modèle) ne pouvaient être mis en œuvre contre des pièces de rechange [3].

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Concurrence publicitaire déloyale relative aux pièces de rechange

Le droit de la concurrence déloyale s’applique également. Ainsi, récemment, Renault a échappé à une condamnation pour publicité comparative illégale avec son slogan « Qui mieux que Renault peut entretenir votre Renault » [4]. Les juridictions ont écarté toute condamnation au motif que ce slogan n’allait pas jusqu’à laisser entendre que les réparateurs indépendants ne pourraient pas assurer une fiabilité ou une sécurité équivalente des réparations que celles réalisées dans le réseau Renault

Sur cette base, on peut s’interroger sur la légalité de la publicité de Toyota reprise en tête de page [5]. Selon notre opinion, une publicité telle que reprise ci-dessus laisse entendre que les pièces originales du constructeur seraient seules à même d’assurer la sécurité des réparations (ou une sécurité des réparations équivalente à celle réalisée avec des pièces originales) : il s’agirait alors d’une affirmation clairement excessive et illégale.

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Le secteur automobile

En raison de son importance économique, le secteur automobile fait, en outre, l’objet d’une réglementation particulière.

Ainsi, le Règlement n° 461/2010 sur les accords verticaux dans le secteur automobile liste trois types de contrats que les autorités de la concurrence doivent contrôler avec une vigilance particulière [6].

Il s’agit des contrats conclus entre un constructeur automobile et :

  • les membres d’un système de distribution sélective (ex. : concessionnaires) en vue de restreindre la (re)vente de pièces de rechange à des réparateurs indépendants (…) ;
  • un fournisseur de pièces de rechange (d’outils de réparation, d’équipements de diagnostic ou d’autres équipements), en vue de limiter la faculté du fournisseur de vendre ses produits :
    • à des distributeurs agréés ou indépendants,
    • à des réparateurs agréés ou indépendants ou,
    • à des utilisateurs finaux ;
  • un fournisseur de composants utilisés par le constructeur pour le montage initial des véhicules automobiles en vue de limiter la faculté du fournisseur d’apposer effectivement et visiblement sa marque déposée ou son logo sur les pièces de rechange.

Le constructeur doit, de plus, donner à tous les opérateurs indépendants (i.e. : les réparateurs indépendants, les fabricants et les distributeurs de pièces de rechange, d’équipement ou d’outils de réparation) [7] un accès aux informations techniques égal à celui donné à ses réparateurs agréés [8].

Les informations techniques nécessaires aux réparations impliquent, notamment :

  • les outils de réparation, les logiciels, les équipements de diagnostic électronique, ainsi que le service après-vente de ces outils ;
  • les logiciels, les codes d’erreur et autres paramètres, nécessaires pour installer ou de rétablir les réglages recommandés par le fournisseur ;
  • les numéros d’identification des véhicules automobiles ou toutes autres méthodes d’identification des véhicules automobiles ;
  • les catalogues de pièces de rechange ;
  • les procédés de réparation et d’entretien ;
  • les solutions pratiques résultant de l’expérience concrète et répondant à des problèmes qui affectent un modèle ou un lot particulier ; et,
  • les campagnes de rappel et autres avis signalant les réparations qui peuvent être effectuées gratuitement au sein du réseau de réparateurs agréés.

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Vous souhaitez en savoir plus sur l’accès aux pièces de rechange et aux pièces détachées ? N’hésitez pas à nous contacter !

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[1] « Des pièces de rechange pour les produits primaires d’une certaine enseigne peut ne pas constituer un marché pertinent séparé dans deux hypothèses :

  • premièrement, dans le cas où le consommateur peut se tourner vers les pièces de rechange fabriquées par un autre producteur ;
  • deuxièmement, dans le cas où le consommateur peut se tourner vers un autre produit primaire afin d’éviter une augmentation de prix sur le marché des pièces de rechange ».

TUE, 15 décembre 2010, Confédération européenne des associations d’horlogers réparateurs (CEAHR) c. Commission, T-427/08.

[2] CJUE, 5 octobre 1988, AB Volvo contre Erik Veng (UK) Ltd, aff. 238/87, Rec., 1988, p. 6211.

[3] TUE, 27 septembre 2006, Haladjian Frères, T-204/03, Rec., II, p. 3779 ; CJUE, 26 septembre 2000, Commission c. France, aff. C/ 23/99 , Rec., 2000 I-07653 ; Cass. fr, 3 septembre 2002, Renault c. Franco & Prasco.

[4] Cass. fr., 10 mai 2011, FEDA c. Renault, RG 09-67440.

[5] Certes, nous trichons un peu ici : la publicité concerne clairement le territoire du Sri Lanka, alors que nous étudions le droit européen. Ceci nous semblait cependant être un bel exemple de « dérapage » possible.

[6] Règlement n ° 461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, OJ, 28 mai 2010, L129/52.

[7] Mais encore :

  • les éditeurs d’informations techniques,
  • les clubs automobiles,
  • les entreprises d’assistance routière,
  • les opérateurs offrant des services d’inspection et d’essai ; et,
  • les opérateurs assurant la formation des réparateurs.

[8] Lignes directrices supplémentaires sur les restrictions verticales dans les accords de vente et de réparation de véhicules automobiles et de distribution de pièces de rechange de véhicules automobiles, JO, 28.5.2010, C 138/ 16.