Quelles royalties (prix) négocier pour un contrat de licence de propriété intellectuelle ?
Il s’agit d’une question complexe, à laquelle les avocats qui pratiquent la propriété intellectuelle sont souvent confrontés : quelle est la valeur réelle d’un droit de propriété intellectuelle ? Ou, en d’autres termes : comment négocier le juste prix (les « royalties ») pour un contrat de licence ?
Il s’agit là d’une interrogation importante qui se pose dans tous les domaines – qu’il s’agisse de droit des brevets, de droit des marques ou de droit d’auteur. Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse, nous consacrons deux billets à la question. Le billet du jour s’intéresse au calcul du taux des royalties dans le cadre de la conclusion d’un accord de licence. La prochaine note s’intéressera à une question connexe, celle du calcul de l’indemnisation de la contrefaçon.
Le péché originel : une absence de marché
Quel est le prix d’une pomme ? Sur cette question, chacun aura son opinion. La plupart d’entre nous aboutiront à un prix variant entre 10 centimes et un euro, selon le lieu d’approvisionnement et le contexte d’achat. Comment connaissons-nous le prix d’une pomme, nous qui, pour la plupart, n’avons jamais cultivé de pommiers et ignorons tout de la quantité d’eau, de terres et d’efforts nécessaires pour obtenir une pomme ? La réponse est simple : parce qu’il existe un marché, soit un lieu permettant à chacun d’exprimer ses prétentions pour l’achat/la vente d’une pomme, jusqu’à ce qu’un prix d’équilibre se dessine comme le résultat de ces prétentions contradictoires.
Il en va autrement pour un brevet ou une marque, pour lesquels seuls un ou deux industriels seront peut-être intéressés. Dans ce cas, il n’existe aucun marché pour servir de référence aux parties quant au prix à réclamer ou à accepter de payer pour une licence. Seule la perspective du succès commercial est alors à même de justifier un prix plus ou moins élevé. Or, le succès étant nécessairement incertain, la définition d’un « juste prix » reste chose difficile.
C’est là un constat assez troublant : alors que les entreprises sont supposées connaître au mieux le marché sur lequel elles évoluent et être les mieux placées pour estimer la valeur de la création qu’elles envisagent d’acheter ou de vendre – elles sont en tous cas mieux placées que l’avocat, le juge ou l’autorité publique – elles sont pourtant souvent dans une grande incertitude quant au prix à pratiquer. En particulier, de nombreuses start-up innovantes ignorent ce qu’elles peuvent demander lors de la cession de leurs brevets ou, au contraire, ce qu’elles doivent accepter de payer pour obtenir accès à la technologie d’un tiers.
On ne compte plus les articles scientifiques rédigés par des économistes pour tenter de fournir une formule mathématique qui permettrait de déterminer le prix raisonnable d’un droit de la propriété intellectuelle (voyez encore ici et ici) [1]. Force est pourtant de constater que ces solutions, très savantes, ne permettent généralement pas de résoudre les problèmes concrets auxquels les entreprises sont le plus souvent confrontées.
En réaction, nous présentons une approche plus pragmatique, laquelle consiste à :
- définir un taux de royalties de base qui puisse être considéré comme légitime par chacune des parties ; et,
- sur la base duquel peuvent prendre place des négociations pour affiner le taux de la redevance à la hausse ou à la baisse.
1. Royalties : définition d’un taux de base pour la négociation
Lorsqu’il s’agit de déterminer le taux des royalties, des pistes existent pour aider à déterminer un prix qui, entre parties, pourra servir de base de discussions et, devant le juge, de base à un argumentaire.
Entre parties, les conditions de la négociation doivent être particulièrement soignées. Ce sont elles qui permettront d’atteindre un prix jugé comme acceptable par chaque partenaire.
- Dans un premier temps, les parties auront pris soin de s’échanger toutes les informations nécessaires sur la technologie en jeu et son mode de fonctionnement.
- Le cas échéant, elles auront conclu un contrat de confidentialité préalable en vue de permettre l’installation d’un climat de confiance.
Lorsque chacune des parties a exprimé son intérêt à faire affaire, les discussions commerciales peuvent débuter.
Au stade des négociations, l’approche la plus efficace consiste à définir un taux de base jugé comme acceptable par chacune des parties, et qui sera ensuite discuté à la hausse ou la baisse.
Pour fixer ce taux de base, certains opérateurs – voire certaines juridictions – conseillent d’appliquer une règle empirique selon laquelle une base de discussion légitime consisterait généralement à ouvrir les discussions à 25% des profits avant-taxe générés par la vente du bien intégrant l’invention brevetée ou, alternativement, à 5% du prix de vente de ce même bien.
D’autres, considérant qu’il s’agit là d’une méthode par trop arbitraire, proposent de raffiner l’approche en vue d’adopter un taux de royalties de base déterminé en fonction de la rentabilité habituelle du secteur ou du sous-secteur auquel se rattache l’invention en cause. On comprend ce raisonnement. Tous les secteurs n’étant pas aussi profitables les uns que les autres, il y aurait une certaine justice à se raccrocher au taux de redevance le plus à même de refléter la rentabilité supposée du droit en cause. En vue d’identifier ce taux, les parties peuvent par exemple accéder à des bases de données compilant les taux de redevance pratiqués par secteur (voyez encore exemple ici). L’approche est louable : à défaut de marché disponible pour fixer le prix, la meilleure logique consiste encore à tenter de calquer le montant des royalties sur celui d’un marché proche.
A notre entente, cette logique peut toutefois encore être poussée un cran plus loin. Les négociations seront encore mieux fondées si le taux de départ des royalties n’est pas celui généré statistiquement pour un secteur, mais celui généré par une technologie proche, voire par l’invention elle-même. Ainsi, l’inventeur sera dans une position de force pour imposer le taux de base qui a ses faveurs s’il est à même de présenter des contrats déjà conclus avec des tiers, et portant soit directement sur le brevet en cause, soit éventuellement sur la génération précédente de son invention.
2. Royalties : les négociations proprement dites
A partir du taux de base des royalties, il revient aux parties de négocier la conclusion du contrat, à la hausse ou à la baisse. A ce stade, nombre d’arguments peuvent être employés.
Les plus évidents portent évidemment sur le champ d’application du contrat :
- Quelle est la durée de la licence ?
- Pour quel territoire géographique ?
- Pour la production de quels produits ?
- Bien plus : la licence est-elle exclusive ou non ?
Les conditions en vigueur sur le marché constituent également de bons arguments de négociation :
- Le marché auquel l’invention en discussion permet d’accéder est-il en croissance ?
- Existe-t-il un effet de mode autour de la marque dont la licence est en discussion ?
- S’il s’agit d’une invention, existe-t-il une technologie concurrente aussi efficace sur le marché ? Les prétentions du titulaire de l’invention seront revues à la baisse lorsque son client risque de quitter la table des négociations pour se rapprocher d’un concurrent.
Finalement, un certain nombre de considérations plus diverses peuvent également être prises en compte pendant les négociations des royalties, même si les parties veilleront à ne pas toujours les formuler de manière explicite.
- Ainsi, il peut être intéressant de faire un arbitrage entre le taux des redevances et les capacités financières de son cocontractant pour, selon les cas, réclamer un taux de redevance élevé lorsque le cocontractant dispose de ressources financières importantes.
- En sens inverse, il peut être intéressant d’accepter un taux moins élevé et de parier sur l’efficacité du réseau de distribution de celui auquel la licence est accordée. Il convient en effet de ne jamais oublier qu’une bonne distribution du produit est un moyen aussi efficace pour gonfler les revenus du propriétaire du droit qu’une hausse du taux des royalties.
Le bon négociateur évitera enfin d’humilier son partenaire avec une offre trop peu généreuse, et ce même si toutes les parties savent que ce dernier ne dispose pas de solution de retrait. Plusieurs études d’économie comportementales rappellent en effet les règles de tact les plus élémentaires et témoignent du fait que les vendeurs préfèrent souvent quitter la table des négociations lorsque le prix offert semble outrageusement bas, même si cela implique pour eux de devoir subir une perte sèche.
Conclusion : de l’importance d’une bonne communication entre partenaires
On le comprend, c’est lorsque chacune des parties aura fini par convaincre l’autre de la légitimité de ses prétentions qu’un accord aura le plus de chances d’être atteint.
En matière de contrats de licence, plus qu’en tout autre, il est impératif que les parties collaborent et deviennent de véritables partenaires :
- si l’inventeur ne peut tirer suffisamment de fruits son invention, il ne pourra pas la perfectionner et mettre au point, quelques années plus tard, une technologie de nouvelle génération ;
- en sens inverse, si l’utilisateur ne s’y retrouve pas dans les conditions qui lui sont proposées par le titulaire de l’invention, il ne pourra pas assurer une promotion que mérite le produit, en sorte que la base commerciale sur laquelle sont calculées les royalties sera diminuée, au grand dam du titulaire du brevet.
Un conflit entre partenaires peut toujours dégénérer en action en contrefaçon. Sur le long terme, le respect mutuel est souvent la voie du succès.
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Contactez-nous [1] Sur le sujet du calcul des royalties – passionnant selon nos goûts – voyez certaines pages d’un mémoire rédigé en des temps anciens, et ayant pour sujet Abuse for Refusal to Licence Intellectual Property Rights.