La protection des recettes de cuisine par le droit de la propriété intellectuelle
La question est devenue particulièrement fréquente en ces temps de gastronomie galopante : est-il possible de protéger les recettes de cuisine par le droit de la propriété intellectuelle ?
En effet, nombreux sont ceux qui, derrière leurs fourneaux, essaient, composent et travaillent, jusqu’à parvenir à mettre au point une recette inédite qui connaît le succès (succès d’estime ou succès commercial).
Les recettes de cuisine peuvent-elles faire l’objet d’un monopole ? Coupons court au suspens : en principe, non.
Toutefois, un usage adroit des différents instruments juridiques disponibles est à l’origine de quelques très belles success stories commerciales.
Les lignes qui suivent passent en revue les différents instruments disponibles pour protéger les créations qui prennent place dans la cuisine.
Le contrat de confidentialité : pour encadrer la vente d’une recette
Le droit de la propriété intellectuelle ne permet pas d’obtenir un monopole sur une quelconque recette : tout concurrent qui parvient à reproduire la préparation de manière indépendante est libre de la commercialiser. Par contre, tant que la recette demeure secrète – dans sa composition, dans ses ingrédients, dans son mode de préparation – le créateur de la recette peut commercialiser son secret dans le cadre d’un contrat de confidentialité.
Prenons un exemple qui m’a été soumis récemment : celui d’un nouveau cocktail mis au point par le barman d’un établissement de la région liégeoise et qui devait bientôt retenir l’attention d’un industriel des spiritueux.
Certes, l’industriel aurait pu essayer de « casser » le secret en cuisines, en procédant à tâtons, à force d’essais. Toutefois, l’industriel s’exposait lui-même au risque de voir un tiers (re)découvrir le secret avant lui. Afin de ne pas perdre de temps, le choix a été fait de conclure un contrat de confidentialité. Dans ce cadre, le concepteur du cocktail livrait le secret de la recette de son cocktail contre le versement d’une rémunération de la part de l’industriel.
Quelques semaines plus tard, le cocktail était distribué en magasins.
Le droit des dessins et modèles : pour protéger l’apparence de la recette
Le droit des dessins et modèles permet la protection de l’apparence des produits.
Appliqué au milieu de la gastronomie, il permet de protéger une préparation dont l’aspect extérieur est nouveau et qui crée une « impression visuelle différente » de celle produite par les recettes antérieures [1].
Ainsi, un arrêt du Tribunal général de l’Union européenne a-t-il récemment considéré la possibilité de protéger l’apparence d’un biscuit aux pépites de chocolat [2]. Selon le Tribunal, si une pâte fourrée intérieure ne peut pas être retenue pour caractériser l’apparence extérieure du biscuit, l’apparence extérieure des préparations culinaires est digne de protection.
D’un point de vue économique, l’intérêt d’une protection limitée à l’apparence extérieure d’une préparation paraît au premier abord limité. Toutefois, le cannelé bordelais aurait-il connu le même succès sans sa forme si reconnaissable ? Le macaron aurait-il aussi paru aussi fragile, léger et délicat dans une autre forme que sa double forme bombée ? Il ne faut pas sous-estimer l’intérêt de L’apparence d’une pâtisserie ou d’un dressage est en soi digne d’être protégé.
Le droit des brevets : pour les ustensiles de cuisine
Le droit des brevets permet de protéger les idées. Toutefois, pour qu’une idée soit protégée, par le droit des brevets, encore faut-il que cette idée présente un caractère « nouveau » et un « degré d’inventivité » suffisant pour justifier l’octroi d’un brevet.
Ces conditions ne sont généralement pas réunies pour autoriser l’octroi de brevets à l’égard de recettes qui, le plus souvent, consistent en un simple réarrangement d’ingrédients et de procédés culinaires qui existent depuis des siècles.
Si quelques brevets ont pu être délivrés aux Etats-Unis pour des recettes très complexes, le droit européen – plus exigeant en ce qui concerne le degré d’inventivité requis pour obtenir un brevet – n’autorise pas l’octroi d’un brevet pour la protection de recettes.
Ceci n’empêche pas pour autant l’octroi de brevets pour la réalisation de nouveaux outils de cuisine. Bien au contraire, ceux-ci font très souvent l’octroi de brevets, les inventions les plus populaires étant fréquemment mises à l’honneur lors d’émissions de bourrage de crâne de télé-achat du dimanche matin [3]. Ainsi, on peut citer par exemple : un ustensile de cuisine emboitable avec une poignée articulée, un manche préhensile pour casserole, un dispositif pour empiler des ustensiles de cuisine.
Le droit d’auteur : pour les livres de recettes
Le droit d’auteur ne permet pas plus de protéger le droit d’auteur sur les recettes de cuisine. En effet, comme déjà expliqué ailleurs sur ce blog, le droit d’auteur ne permet pas de protéger les idées, mais uniquement la mise en forme qui a été donnée à cette idée.
Il en résulte que seule la formulation de la recette peut être protégée (soit l’enchaînement des éléments de langage dans lesquels la recette a été exprimée).
Ceci ne permet évidemment pas d’interdire la reproduction du met (entrée, plat, gâteau ou dessert) par un restaurateur concurrent.
Le droit d’auteur permet par contre d’interdire la copie de livres de recettes, les photographies ou des vidéos qui présentant des recettes de cuisine [4].
Le droit des marques : pour protéger le nom d’un fournisseur ou d’un chef gastronome
Si le droit des marques ne permet pas plus de garantir le monopole sur une recette, il permet de distinguer un met d’un autre.
Les exemples foisonnent. Il en va ainsi de toutes les gammes de plats préparés, vendus sous le nom d’un chef étoilé – Joël Robuchon, Bernard Loiseau, ou, plus près de chez nous, Gert De Mangeleer, et Arabelle Meirlaen.
Il en va également ainsi des différentes marques de chocolat – Galler, Corné, Neuhaus, Léonidas, … – certaines marques finissant par être associées à un type de chocolat particulier, tel les chocolats Marcolini, associés aux chocolats épicés ou parfumés.
Notre conseil:
Contrats de confidentialité, droit des dessins et modèles, droit des marques, … on le voit : si le droit ne permet pas de s’approprier définitivement une recette, de nombreuses voies de traverses sont malgré tout disponibles pour en protéger la commercialisation.
Vous souhaitez en savoir plus à ce sujet ? Vous souhaitez vendre votre recette, protéger son nom, son apparence ou commercialiser votre nom ?
Contactez-nous[1] Pour plus de lisibilité, nous simplifions le critère applicable. Pour plus de précisions, il est conseillé au lecteur de se reporter à nos billets précédents, exclusivement consacrés au droit des dessins et modèles.
[2] TG, 9 septembre 2014, Biscuits Poult/OHMI – BanketbakkerijMerba, T-494/12.
[3] Moi je ne regarde pas. C’est quelqu’un qui m’a dit.
[4] De manière très (trop) sévère, certaines juridictions considèrent que la formulation de la recette doit elle-même être originale, et non purement descriptive.