Concurrence et publicité : la publicité comparative
Tous les commerciaux qui auront un jour suivi un cours de marketing le savent : pour prospérer sur un marché il ne suffit pas seulement d’avoir le meilleur produit, il faut encore en assurer la publicité. Or, sur ce terrain, tous les stratagèmes ne sont pas permis.
Deux types de situations nous semblent mériter une attention particulière :
- La publicité comparative, et sa relation avec le dénigrement ;
- Les tentatives d’étouffement et le parasitisme publicitaire.
Nous nous intéresserons à la publicité comparative à l’occasion de la présente note, et aborderons la seconde partie à l’occasion d’un prochain billet.
Le diable est dans les détails – le diable est dans la formulation du message publicitaire
La publicité comparative est une pratique aujourd’hui relativement répandue, notamment parmi les opérateurs de téléphonie mobile, mais la pratique est répandue sur d’autres marchés également comme sur ceux de la distribution d’énergie, de la grande distribution et de l’alimentaire. Elle est définie par la loi comme concernant « toute publicité qui, explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent ». Ses contours sont définis par l’article VI.17 de Code de droit économique.
La pratique est donc autorisée, mais encadrée. En prenant le risque de simplifier quelque peu (le lecteur diligent se rapportera au texte de loi), la publicité comparative est autorisée pourvu qu’elle se fonde sur une comparaison objective et vérifiable des caractéristiques essentielles des biens et services en concurrence, sans être trompeuse, sans tirer indûment profit de la marque des concurrents, et sans entraîner le discrédit ou le dénigrement.
On l’aura compris, la formulation du message publicitaire doit donc faire l’objet de toutes les attentions. Nous discutons ci-dessous la portée des principales conditions dont le respect est imposé pour faire de la publicité comparative.
1. Des informations vérifiables
Les comparaisons fondées sur des informations erronées sont évidemment interdites. En outre, lorsqu’une comparaison est entreprise, elle doit se faire sur des éléments qui permettent au consommateur d’exercer effectivement son jugement.
Ainsi, selon un arrêt rendu le 23 décembre 2010 par la Cour d’appel d’Anvers, la publicité qui vante des offres de voyages au meilleur prix, parce que la réservation par internet chez l’annonceur se ferait « sans frais supplémentaires d’un intermédiaire », doit au moins donner un aperçu des prix réels de l’annonceur et de sa structure de coûts afin de conclure à la véracité de sa publicité.
La Cour d’appel de Bruxelles a suivi la même ligne de raisonnement dans un arrêt du 22 février 2011, rendu à l’égard d’une publicité réalisée pour une poudre à lessiver, comparée à un « produit de lessive normal ». Selon la Cour, lorsqu’un producteur de lessives a une part de marché de 52,2% et qu’un concurrent compare son produit avec un « produit de lessive normal », le consommateur identifiera nécessairement un ou plusieurs produits du leader de marché comme étant le produit de comparaison – il conviendrait donc de démontrer la supériorité du produit annoncé par rapport aux qualités des produits de la première entreprise du marché. Ensuite, le produit à l’aune duquel la comparaison est faite doit être clairement identifié (ex. : poudre ou liquide ; produit de lessive normal ou spécialisé). Enfin, les comparaisons proposées doivent être fondées (ex. : la publicité qui prétend qu’un produit préserve l’intégrité des vêtements lavés tandis que les vêtements lavés avec d’autres produits se déchirent doit se fonder sur un résultat observable).
Dans le même ordre d’idées, un opérateur de téléphonie ne peut pas prétendre être « le moins cher du marché » uniquement par comparaison de ses tarifs avec le leader du marché (Prés. Comm. Bruxelles, 27 mai 1999).
2. Une comparaison objective
Cela relève de l’évidence la plus criante : pour qu’une comparaison loyale puisse être réalisée entre deux produits ou services, celle-ci doit porter sur des biens objectivement comparables.
Malgré cette exigence, l’opérateur de télécommunications Belgacom s’est récemment fait condamner pour violation de son obligation de comparaison objective. Ainsi, d’après les informations divulguées dans la presse, le Tribunal de commerce et la Cour d’appel de Bruxelles ont condamné Belgacom pour avoir comparé certains de ses packs avec des packs de VOO présentant une vitesse et un volume de téléchargement supérieurs. En outre, Belgacom avait illégalement comparé leurs offres « football du Championnat de Belgique » respectives malgré le fait que ces offres ne portaient pas sur les mêmes matchs et que VOO avait obtenu la diffusion des matchs phares.
Ce raisonnement, qui doit être pleinement approuvé, nous fait douter de la licéité de la publicité diffusée par Amazon et reprise en-tête de la présente note. Comme certains commentateurs le font remarquer, en dépit de ses qualités techniques, on peut s’interroger sur fait que le produit d’Amazon soit une liseuse plutôt qu’une tablette. Si la seconde qualification devait être retenue, la comparaison proposée par Amazon serait en difficulté par rapport à la loi belge.
3. Absence de dénigrement
Dans tous les cas, la publicité ne peut jamais être dénigrante à l’égard d’un tiers. Hors les cas de publicité comparative, les exemples de condamnations pour dénigrement public d’un concurrent sont nombreux. On ne compte plus les décisions qui sanctionnent les entreprises qui se répandent en propos – exacts ou inexacts, par ailleurs – visant à discréditer un concurrent – lequel serait, selon les cas, « mauvais payeur« , « en situation de faillite ou d’ébranlement de crédit », « coupable de contrefaçon« , « en retard quant aux évolutions techniques« , etc.
Il résulte de l’interdiction de dénigrement que lorsqu’une comparaison est réalisée, elle doit avoir pour objectif de faire ressortir les qualités du produit promu, plutôt que de souligner les défauts du produit concurrent, lequel sera présenté de manière neutre pour éviter tout risque. Selon cette logique, une entreprise peut comparer ses délais de livraison à ceux de ses concurrents, mais ne communiquera pas sur le fait que l’un d’entre eux est régulièrement condamné en justice pour ses retards de livraison.
On peut s’étonner de cette logique : somme toute, lorsque l’information véhiculée est le fruit d’une décision de justice, elle constitue la vérité judiciaire. Pourvu que le message du jugement ne soit pas injustement tronqué ou manipulé, les acteurs présents sur le marché devraient, à notre sens, pouvoir se prévaloir de la condamnation d’un concurrent et ce d’autant plus que les jugements sont supposés rendus en publics.
Ce n’est pourtant pas l’opinion de la Cour d’appel de Bruxelles, laquelle a décidé par un arrêt du 6 février 2001 que « si la communication du jugement perd son caractère purement informatif, et qu’elle fait partie d’une initiative offensive, elle est clairement un moyen utilisé pour discréditer le concurrent (…) et constitue donc un dénigrement ». Toutes les décisions rendues en ce domaine ne sont pas aussi catégoriques.
Malgré tout, des précautions s’imposent lors de communications sur les activités de ses concurrents. Une information trop agressive pourra faire l’objet d’une action en cessation devant le juge, qui en ordonnera le retrait.