Débauchage de personnel : l’employeur qui engage un travailleur soumis à une clause de non-concurrence commet-il une infraction ?
La vie des affaires s’accommode difficilement de voir les travailleurs et collaborateurs passer à la concurrence. Pour se prémunir des pratiques de débauchage de personnel, de nombreux employeurs introduisent une clause de non-concurrence dans le contrat de travail. Pour autant, le nouvel employeur risque-t-il d’être poursuivi comme complice de la violation de la clause de non-concurrence ?
Le recruteur sera condamné pour débauchage de personnel si trois conditions sont réunies
Selon la jurisprudence, il n’est possible de tenir un tiers pour complice de la violation d’une clause de non-concurrence (et débauchage de personnel) que si les 3 conditions suivantes sont réunies :
- l’existence d’une clause de non-concurrence préexistante et valable ;
- la violation de cette clause par le travailleur ; et,
- la participation du nouvel employeur, en connaissance de cause, à la violation de la clause.
Sanctionner un tiers pour violation d’une clause de non-concurrence qu’il n’a pas signée fait exception au principe de « relativité des conventions » selon lequel seules les parties au contrat sont tenues de respecter les obligations du contrat. Ceci, ajouté au fait que la violation d’une clause de non-concurrence entre en conflit avec les principes de libre entreprise et de liberté du travail amène parfois la jurisprudence à requérir la preuve de conditions supplémentaires aux trois conditions précitées. Ainsi, on relève que la jurisprudence exige parfois encore, soit la preuve que le nouvel employeur a agi avec l’intention de nuire à son prédécesseur, soit la preuve de « circonstances particulières » rendant le remploi du travailleur déloyal (Comm. Brux., 2 février 2009).
A notre entente toutefois, ces circonstances complémentaires doivent être écartées, à peine de retirer toute particularité aux cas de débauchage de personnel impliquant la violation d’une clause de non-concurrence. En effet, les conditions tenant à l’existence de « circonstances particulières » ou d’une « volonté de nuire » sont déjà des critères retenus pour sanctionner les pratiques de détournement de personnel, lesquelles peuvent être sanctionnées même en l’absence de clause de non-concurrence.
A la vérité, la condition centrale consiste à déterminer si le nouvel employeur était, oui ou non, au courant de l’existence de la clause de non-concurrence lorsqu’il a engagé le travailleur.
Le recruteur était-il au courant du fait qu’il participait à la violation d’une clause de non-concurrence ?
Sur ce point, la jurisprudence s’attache à préciser « que le tiers complice n’a pas, en règle, à vérifier ou contrôler si l’autre partie ne viole pas, en contractant avec lui, une obligation contractuelle préexistante » (Comm. Brux., 2 février 2009, précité).
Face à cette présomption d’ignorance du nouvel employeur, la preuve de la connaissance de la clause de non-concurrence sera souvent difficile à rapporter.
Difficile ne veut pas dire impossible cependant : la jurisprudence et la pratique nous en fournissent plusieurs exemples.
- lorsque le débiteur se fait embaucher par la société qu’il a lui-même participé à constituer, la société pourra être poursuivie et considérée comme tierce-complice de la violation de la clause de non-concurrence (Gand 5 mai 1999).
- lorsqu’un travailleur conclut un nouveau contrat de travail auprès de son/sa conjoint(e), ce dernier peut être présumé être au courant de la clause qu’il contribue à violer.
- un employeur qui recrute ses ex-collègues ne peut pas prétendre ignorer la clause qu’il contribue à violer si la conclusion de clauses de non-concurrence était une pratique courante de leur ancien employeur commun.
- plus le nombre de travailleurs débauchés est important, moins l’employeur pourra prétendre ignorer que ceux-ci étaient liés par une clause de non-concurrence : la répétition des entretiens d’embauche réduit la probabilité que l’existence des clauses de non-concurrence était ignorée du nouvel employeur.
Quelle sanction contre le recruteur, coupable de débauchage de personnel ?
En ce qui concerne le dommage, la jurisprudence (Bruxelles, 7 octobre 2008) s’attache à souligner que les montants forfaitaires (=clause pénale) prévus pour sanctionner le travailleur en cas de violation de la clause contractuelle ne peuvent pas être opposés au tiers complice coupable de débauchage de personnel. Si une sanction doit être prononcée à l’encontre du nouvel employeur, il convient encore de faire une évaluation indépendante du dommage que celui-ci a causé.
Dans ce cas, le dommage causé par le débauchage de personnel pourra, par exemple, être calculé sur la base du taux de revient horaire moyen du travailleur et/ou sur la base du préjudice résultant de la désorganisation de l’entreprise (amendes et pénalités de retard dans l’exécution de contrats, contrats perdus en raison d’une pénurie de main d’œuvre, …).
Des questions sur ce point ? Vous souhaitez plus de renseignements ? Vous souhaitez être défendu ?
N’hésitez pas à nous contacter !Pour en savoir plus, vous pouvez également vous tourner vers les publications suivantes :
- K. DE SCHUTTER et S. MARQUANT, Concurrence et débauchage, Kluwer, Waterloo, 2008 ;
- E. PLASSCHAERT, « La pérennisation du capital humain de l’entreprise au moyen de clauses contractuelles« , in E. CORNU et J.-F. NEVEN (Dir.), Le patrimoine intellectuel de l’entreprise. Protection des actifs incorporels de l’employeur et droits et obligations des travailleurs, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 149.