Quels sont les droits d’auteur de l’architecte ?
Les architectes sont titulaires de droits d’auteur à l’égard de leurs créations.
Pour disposer effectivement d’un droit d’auteur, l’architecte doit premièrement démontrer que sa création présente une originalité suffisante. IL s’agit ici de démontrer que l’oeuvre reflète la « personnalité créatrice » de son auteur. Rien de particulier ici, il s’agit uniquement de l’application du critère habituel en vertu duquel une combinaison originale d’éléments, matériaux ou composants (même anciens et connus), suffit le plus souvent pour conférer au créateur de l’œuvre la protection du droit d’auteur.
Dans un second temps, il convient de définir les œuvres protégées.
- Sont évidemment protégés, les plans, dessins, esquisses et autres écrits de l’architecte.
- En outre, et après quelques tergiversations, les juridictions s’accordent aujourd’hui à affirmer que l’édifice lui-même (la construction ; l’immeuble) est protégé par le droit d’auteur.
Cette protection est toutefois limitée aux formes de la construction, et n’entraîne pas une protection du style ou des concepts employés.
Paradoxalement, il résulte ce qui précède que le droit d’auteur portant sur un édifice ne sera donc que rarement mis en œuvre à l’encontre d’architectes concurrents qui adopteraient un style architectural similaire, mais sera plutôt mis en œuvre à l’encontre du propriétaire du bâtiment.
En effet, l’architecte – comme tout auteur d’une œuvre inscrite dans ou sur la pierre (sculpteur, graveur, peintre, …) – peut s’opposer aux modifications apportées à son œuvre sans son consentement, et qui en altèrent l’intégrité. L’architecte demeure évidemment libre d’autoriser les travaux nécessaires à la réfection ou à la transformation de l’immeuble qu’il a dessiné.
Toutefois, si aucun accord n’est trouvé, il reviendra au juge d’arbitrer les conflits survenant entre deux prétentions légitimes (celle de l’architecte-auteur et celle du propriétaire des lieux).
L’architecte peut agir contre son client (propriétaire de l’immeuble) pour violation de ses droits d’auteur
Deux affaires illustrent comment la jurisprudence arbitre les conflits entre les droits d’auteur de l’architecte et les droits du propriétaire de l’immeuble
La doctrine hésite quant à la solution à appliquer : donner en tout temps préférence aux convenances du propriétaire ou subordonner les travaux à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde de l’immeuble ? Le juge, éventuellement, tranchera en essayant de ménager les intérêts de chacune des parties.
Un parallèle peut ici être fait avec l’affaire Somville, jugée par le Tribunal de première instance de Bruxelles par un jugement du 3 juin 1994. Dans cette affaire, des fresques murales avaient été réalisées sur les parois d’un local communal, que l’autorité publique souhaitait rénover et rendre plus neutres pour accueillir le public. Des opérations de badigeonnages furent entreprises sur les fresques, à coup de papier peint et de peinture blanche. Saisi en urgence par l’auteur de l’œuvre, le juge imposa l’arrêt des travaux et ordonna que les fresques soient conservées, quitte à ce que l’autorité publique masque celles-ci derrière des panneaux amovibles.
L’affaire du Pain Louise jugée par la Cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 23 février 2001 offre une seconde illustration de ce type de conflits. Dans le cas d’espèce, l’architecte-décorateur engagé pour assurer l’aménagement d’un magasin de la franchise « Pain Quotidien » avait introduit une action judiciaire contre les propriétaires des lieux, en raison des transformations réalisées dans le magasin, sans son consentement, à peine un an après la fin des travaux. Le raisonnement de la Cour s’article en deux temps. Si la structure des lieux n’accorde aucune originalité aux travaux réalisés (trois pièces en enfilade, selon la tradition architecturale belge), il ne fait aucun doute que les efforts d’aménagement (mobilier et décoration) portent l’empreinte de la personnalité de leur créateur et, comme tels, tombent dans le champ de la loi sur le droit d’auteur. Toutefois, selon la Cour, les droits de l’auteur ne peuvent faire obstacle aux travaux d’aménagement rendus nécessaires par la loi (respect des normes d’hygiène), ou par des exigences tenant à la destination des lieux (aménagements commerciaux). Il en résulte que la demande tendant à voir reconnaître une violation des droits d’auteur de l’architecte est rejetée.
Plusieurs critères sont donc pris en compte par la jurisprudence en cas de conflit architecte-propriétaire
- Le caractère utilitaire ou non de l’œuvre s’avère jouer un rôle important lors de l’arbitrage des prétentions de chacun, les juridictions n’admettant pas que la préservation de l’œuvre soit faite au détriment de la perte d’utilité du bâtiment.
- L’ampleur des travaux destinés à sauvegarder l’œuvre constitue également un important facteur décisionnel, la jurisprudence accueillant les demandes d’aménagement pourvu que la sauvegarde de l’œuvre n’impose pas un surcoût disproportionné au propriétaire des lieux.
- D’autres décisions encore mettent en exergue le caractère public ou non de l’œuvre.
- Les efforts faits par le propriétaire pour parvenir à un accord avec l’auteur sont également considérés.
En l’absence de solution consacrée par le législateur, les Cours et tribunaux tentent de dégager au cas par cas la solution la plus raisonnable pour concilier les exigences de l’auteur et celles du propriétaire.
L’architecte dispose d’un droit d’auteur sur les photographies de ses créations
Nous avons rédigée une note sur les droits d’auteur des photographies portant sur des bâtiments protégés par le droit d’auteur.
N’hésitez pas à vous y référer.
L’architecte doit-il accepter que ses plans soient communiqués par l’administration ?
Il s’agit d’une question fréquente.
L’administration peut-elle communiquer au public les plans d’architecte qui sont déposés dans le cadre d’une demande de permis (permis d’urbanisme, permis d’environnement) ?
L’architecte (ou le Maître de l’ouvrage) peuvent-ils s’opposer à ce type de demande, au risque de faire obstacle au bon déroulement de l’enquête publique ?
Il existe différents points de vue, plus ou moins intrusifs pour l’architecte, selon les circonstances.
L’avis de la Commission d’Accès aux documents administratifs (CADA)
La Commission d’Accès aux documents administratifs CADA statue comme suit dans une décision CADA n°218 du 6 décembre 2021 :
7. Au sujet d’une éventuelle demande d’obtention d’une copie d’ouvrages, la Commission relève que les ouvrages sont bien des documents administratifs au vu de la définition visée à l’alinéa 1er, 2°, de l’article L3211-3 du CDLD.
Cependant, l’article L3231-6 relatif au droit d’auteurs dispose :
« Lorsque la demande de publicité porte sur un document administratif d’une autorité administrative provinciale ou communale incluant une œuvre protégée par le droit d’auteur, l’autorisation de l’auteur ou de la personne à laquelle les droits de celui-ci ont été transmis n’est pas requise pour autoriser la consultation sur place du document ou pour fournir des explications à son propos.
Une communication sous forme de copie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur n’est permise que moyennant l’autorisation préalable de l’auteur ou de la personne à laquelle les droits de celui-ci ont été transmis.
Dans tous les cas, l’autorité spécifie que l’œuvre est protégée par le droit d’auteur ».
La Commission précise que l’application de cet article est sous réserve du caractère abusif d’une telle demande.
A suivre cette décision, la CADA semblerait donc autoriser la prise de connaissance des plans sur place, mais ne semble pas autoriser les copies. A noter : cette décision n’a pas été rendue à l’égard de plans d’architectes dans le cadre d’une demande de permis, mais à l’égard d’une demande de documents juridiques.
L’avis de la Commission de recours pour le droit d’accès à l’information en matière d’environnement (CRAIE)
La dans une décision CRAIE n°1199 du 10 décembre 2021, la CRAIE distingue les plans intérieurs et extérieurs:
Considérant que l’article D.19, § 1er, alinéa 1er, f), du livre Ier du code de l’environnement, permet de limiter le droit d’accès à l’information si son exercice est susceptible de porter atteinte à la confidentialité des données à caractère personnel ou des dossiers concernant une personne physique, si cette personne n’a pas consenti à la divulgation de ces informations ; qu’une disposition analogue figure à l’article 27, § 1er, 1°, de la loi du 5 août 2006 relative à l’accès du public à l’information en matière d’environnement ; qu’en pareil cas, tant l’article D.19, § 2, du livre Ier du code de l’environnement que la phrase introductive de l’article 27, § 1er, de la loi du 5 août 2006 chargent l’autorité publique de mettre en balance l’intérêt servi par la divulgation des documents concernés avec l’intérêt spécifique servi par le refus de les divulguer, et d’opérer ainsi un contrôle de proportionnalité ; qu’en l’espèce, le permis porte sur la transformation d’une habitation ; que, comme mentionné ci-avant, les plans litigieux sont appelés à constituer des pièces essentielles en vue de déterminer la teneur et les implications exactes du projet auquel ils se rapportent ; qu’en conséquence, la balance des intérêts penche en faveur de la communication en copie des documents demandés ; que toutefois, parmi ces documents, figurent des plans d’aménagement intérieur de l’habitation faisant l’objet du permis ; que le respect de la vie privée s’oppose à la communication de ces plans d’aménagement intérieur, qui n’apparaissent d’ailleurs pas comme pouvant avoir des incidences directes sur l’environnement.
Il s’agit donc d’une question sensible.
Si vous souhaitez un avis circonstancié sur ce point, n’hésitez pas à nous contacter !