L’exclusivité de fourniture sous toutes ses formes !
Vous participez à un réseau de distribution exclusive (avec clause d’exclusivité de fourniture) ? Vous bénéficiez ou vous avez octroyé une exclusivité territoriale et vous souhaitez connaître la valeur de votre contrat ? Découvrez ici vos droits !
Exclusivité de fourniture, exclusivité territoriale et autres clauses d’exclusivité : ne confondez pas !
La clause d’exclusivité de fourniture est la clause contractuelle par laquelle un fournisseur s’engage à ne vendre ses produits qu’à un seul distributeur. Elle prend place le plus souvent dans le cadre d’un réseau de distribution exclusif, caractérisé par l’octroi :
- d’une « exclusivité territoriale », où l’acheteur est le seul revendeur sur un territoire donné (une ville, une région, un pays) ; ou,
- d’une « exclusivité de clientèle », où le distributeur est le seul revendeur à pouvoir démarcher une clientèle déterminée (ex. : uniquement les entreprises, uniquement une certaine profession, uniquement la clientèle qui dispose d’un certain patrimoine, etc.).
De nombreux secteurs économiques organisent la vente de leurs produits autour d’un réseau de distribution exclusive. Il importe donc de bien identifier les règles qui y sont applicables afin, d’une part, de permettre aux membres du réseau (fournisseurs et distributeurs) de ne pas être injustement désavantagés et, d’autre part, d’éviter que le réseau ne soit inutilement désorganisé par l’annulation des contrats et des litiges judiciaires à répétition. Les lignes qui suivent font le point sur la question.
Précisons enfin ici que la clause d’exclusivité de fourniture ne doit pas être confondue avec la clause d’exclusivité d’approvisionnement (ou clause d’achat exclusif). De manière générale, nous renvoyons à notre table des matières pour de plus amples explications concernant la clause d’exclusivité et ses différentes variantes.
Clause d’exclusivité de fourniture : les 3 règles
La clause d’exclusivité de fourniture est soumise à un régime légal relativement souple. Elle généralement licite. Toutefois, certaines limitent doivent être respectées. Nous en identifions trois.
Sont illégales :
- l’interdiction des ventes « passives » (soit, l’interdiction faite au distributeur d’honorer une commande qu’il n’a pas provoquée lorsque, par exemple, le consommateur pousse spontanément la porte de son magasin) ;
- la distribution exclusive multiple (soit la situation où plusieurs fournisseurs concurrents désignent un même distributeur comme distributeur exclusif) ;
- les clauses d’exclusivité de fourniture qui ont pour effet d’exclure les autres distributeurs du marché.
Lorsque ces limites ne sont pas respectées, la clause d’exclusivité de fourniture (voire même le contrat lui-même) sera nulle ; dans certains cas, de lourdes sanctions (amendes) peuvent également être infligées par les pouvoirs publics. Tour à tour, nous expliquons chacune de ces trois limites dans les lignes qui suivent.
1. Clause d’exclusivité territoriale et interdiction des ventes passives
Les clauses d’exclusivité territoriales ont une vertu : elles permettent au distributeur d’investir dans son point de commerce (investissements dans un beau show room, service à la clientèle, etc.) sans avoir à craindre la concurrence d’un distributeur concurrent situé à proximité, qui, n’ayant exposé ces investissements, pourrait proposer les mêmes produits à un prix moindre et décourager les investissements du premier.
Toutefois, le droit de la concurrence protège le consommateur et s’oppose au morcellement des marchés (et donc, s’oppose à la constitution de territoires commerciaux « exclusifs » avec d’importants différentiels de prix qui seraient rendus inaccessibles aux consommateurs).
Entre ces deux préoccupations, un point d’équilibre a été trouvé en distinguant ventes actives et ventes passives.
Interdire les ventes actives ; libérer les ventes passives
Il faut donc distinguer :
- les « ventes actives », soit les ventes réalisées grâce à des démarches promotionnelles du distributeur (porte-à-porte, messages publicitaires dans les médias, …) ; et,
- les « ventes passives », soit les ventes réalisées à la suite de démarches spontanées du consommateur (ex. : visite en magasin).
La règle est simple. Le fournisseur peut créer une exclusivité territoriale et interdire à son revendeur exclusif de réaliser des ventes actives, mais il ne peut en aucun cas lui interdire les ventes passives. De manière très concrète :
- il est permis d’interdire à son revendeur de faire de la distribution de prospectus publicitaires dans des boîtes aux lettres qui seraient situées en-dehors de son territoire exclusif (l’interdiction des ventes actives est licite) ;
- par contre, il est formellement interdit de constituer des territoires exclusifs et d’imposer à son revendeur de prendre les coordonnées de ses clients pour rediriger vers un autre revendeur le client dont le domicile ne serait pas situé dans son territoire commercial exclusif (interdiction des ventes passives est illicite).
Malheureusement, l’interdiction des ventes passives existe encore fréquemment pour dans les réseaux de distribution pour l’achat de grosses pièces, ou lorsque le réseau de distribution est organisé sur une base nationale (avec un distributeur par État, l’obstacle de la langue étant alors utilisé pour prétexter un renvoi du consommateur vers le distributeur de sa nationalité). Par exemple, elle peut régulièrement constatée pour la vente de stocks en gros, pour la vente de véhicules ou d’engins de chantier.
Elle est encore souvent mise en place lors de ventes par internet (ex. : avec un menu déroulant sollicitant du consommateur qu’il indique son pays d’origine avec renvoi automatique vers le site du distributeur national, qui pratique le tarif national). La légalité des clauses d’exclusivité territoriale doit donc être examinée avec attention.
2. La distribution exclusive multiple
Un autre cas de figure juridiquement risqué est celui de la distribution exclusive multiple, soit la situation où un même distributeur devient le distributeur exclusif de plusieurs fournisseurs concurrents sur un territoire donné. (Il y a un cumul de clauses d’exclusivité de fourniture sur la tête d’un même distributeur).
En effet, si un distributeur est exclusivement responsable de la commercialisation de plusieurs marques , il n’est pas incité à répercuter au consommateur final les baisses du prix de gros décidées par un des fabricants pour sa marque, car cela diminuerait les bénéfices qu’il réalise sur les autres marques. Par anticipation, les fabricants n’ont pas intérêt à se faire concurrence par les prix.
Dans cette configuration, on considère que « plus la part de marché cumulée des marques distribuées par les distributeurs exclusifs multiples est élevée, plus le risque d’atténuation de la concurrence est grand » [1], et plus grand est le risque d’infraction au droit de la concurrence.
3. L’exclusion des autres distributeurs
Une clause d’exclusivité territoriale peut enfin éventuellement devenir illicite lorsqu’elle a pour effet de priver les autres distributeurs de l’accès à un bien indispensable pour être présent sur le marché de la revente.
Cela peut notamment être le cas dans l’hypothèse où le distributeur exclusif dispose d’un pouvoir d’achat important et devient l’acheteur exclusif pour un territoire très vaste. On pourrait prendre comme exemple le cas d’une chaîne de supermarchés qui devient le seul distributeur d’une marque de premier plan sur un marché national du commerce alimentaire de détail.
Les facteurs suivants sont pertinents pour apprécier l’apparition d’un effet d’exclusion et le caractère illicite de la clause d’exclusivité :
- la part de marché détenue par l’acheteur-revendeur, afin d’apprécier sa capacité à « imposer » une obligation de fourniture exclusive de nature à empêcher d’autres acheteurs d’accéder aux produits concernés (le risque apparaît lorsque l’acheteur détient 30% ou plus de parts de marché) ; et,
- l’étendue et la durée de l’obligation de fourniture exclusive (dans la plupart des cas, une clause d’exclusivité d’une durée supérieure à cinq ans n’est pas justifiable).
Dans ce dernier cas, il s’agit donc principalement d’examiner les effets concrets de la clause d’exclusivité de fourniture sur les autres distributeurs. Seul l’examen des effets permet de déterminer si la clause est licite (et doit être respectée) ou nulle (et peut être ignorée).
Notre conseil:
Les quelques lignes qui précèdent tentent de résumer une question légale complexe. Si vous souhaitez un conseil sur la clause d’exclusivité de fourniture de votre contrat, ou si vous souhaitez être défendu dans le cadre d’un litige,
Contactez-nous[1] Sur la clause d’exclusivité de fourniture, voyez notamment : Commission européenne, Lignes directrices sur les restrictions verticales, OJ, C 130, 19.5.2010, p. 1–46, para. 154 ; Commission européenne, 20 avril 2010, Règlement n°330/2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, OJ, L 102, 23 avril 2010, p. 1–7.