Quelles sont les conditions pour être titulaire d’un droit d’auteur ?
Les lignes qui suivent répondent à cette question en termes clair.
Deux conditions doivent être remplies pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur
La loi sur le droit d’auteur s’est bien gardée de fournir une définition objective et générale du droit d’auteur ou des conditions de la protection de ce droit. La jurisprudence a dû combler le vide.
Pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre doit remplir deux conditions :
- l’œuvre doit être originale (condition d’originalité) ;
- l’œuvre droit être exprimée sous une certain forme (condition de forme).
Aucune condition supplémentaire n’est requise. Contrairement à ce qui est requis pour d’autres droits de la propriété intellectuelle (ex. : marque, brevet, dessins et modèles) il n’est nullement exigé que l’œuvre soit déposée ou enregistrée pour que son auteur puisse se prévaloir de la protection offerte par le droit d’auteur.
L’œuvre est protégée automatiquement, dès que les deux conditions précitées sont réunies, et ce, quand bien même l’œuvre considérée serait un premier essai, un brouillon, une esquisse.
En principe, ni la nouveauté de l’œuvre, ni son esthétique supposée ne doivent non plus être pris en compte quant à la « protégeabilité »[1] de l’œuvre.
1. Une œuvre originale
Des deux conditions précitées, la condition d’originalité est très certainement celle autour de laquelle se centrent les débats. Selon un arrêt rendu le 27 avril 1989 par la Cour de cassation, pour que la condition d’originalité soit remplie :
« il est nécessaire mais suffisant que l’œuvre soit l’expression de l’effort intellectuel de celui qui l’a réalisée, ce qui constitue une condition indispensable pour donner à l’œuvre le caractère individuel à travers lequel une création existe » (nous soulignons).
La définition retenue par la Cour de cassation[4] introduit une double critère, à l’origine d’un relatif désordre. Sur la base de cette jurisprudence, des décisions très variées ont été rendues, les juges donnant la préférence :
- tantôt au critère d’ « effort intellectuel »,
- tantôt au critère « d’empreinte de la personnalité de l’auteur ».
A ce jour, il ne peut être adéquatement rendu compte de la situation que par référence à quelques illustrations jurisprudentielles. En conséquence, nous présentons dans les lignes qui suivent un résumé succinct des débats qui ont pris place en matière de protection des photographies (dont la protection a pu être critiquée pour absence d’efforts de leur auteur) et en matière de compilation de données (dont la protection a pu être critiquée pour absence de créativité individuelle de l’auteur).
1.1. La protection des photographies
Les œuvres plastiques – dessins, sculptures, et graphisme – ne donnent généralement pas lieu à débats quant à leur originalité : il est rarement contesté que leur formulation implique des choix créatifs qui sont l’expression de la personnalité de leur auteur, de même que leur réalisation implique à l’évidence un certain effort.
Par opposition, l’automaticité de la prise de vue photographique a conduit la jurisprudence à contrebalancer parfois la relative facilité de réalisation du cliché par une exigence accrue quant aux qualités esthétiques de l’image. Sur la base de ce raisonnement, plusieurs décisions de justice ont refusé de protéger par le droit d’auteur des photographies qui n’éveillaient pas chez le juge un « sentiment de beau et de sublime ».
Depuis lors, la Cour de cassation a eu l’occasion de rejeter le critère esthétique.
Il est aujourd’hui établi que :
- le choix du cadrage,
- de la composition,
- de l’angle,
- de la lumière ;
- du moment de prise du cliché
impliquent autant de choix créatifs personnels à leur auteur, et suffisent à justifier la protection de la photographie.
Sur la base de ce raisonnement, la jurisprudence a notamment pu admettre que le droit d’auteur protégeait des photographies commerciales, marketing, des photographies de plantes ou… de catalogues de tapis. Malgré cette évolution louée par la doctrine, il est à noter que des décisions fondées sur l’esthétique du cliché font périodiquement résurgence.
1.2. La protection des compilations (annuaires, bases de données, etc.)
Les compilations d’informations (ex.: annuaires, base de données) se situent à l’autre extrémité du spectre, avec des efforts de réalisation souvent extrêmes sans que leur auteur n’ait vraiment latitude pour faire preuve de créativité dans la formulation du résultat de son travail. Dans ce cas de figure, certaines décisions ont pu reconnaître la protection du droit d’auteur à des créations qui avaient nécessité un travail de recherche approfondi, tel un catalogue des salles du Palais royal de Bruxelles réalisé de manière cursive, en fonction de l’enchaînement des salles.
La tendance est pourtant au rejet des justifications basées sur la seule mise en œuvre d’un « effort ».
Il est aujourd’hui établi que les compilations ne peuvent être protégée que si elles impliquent :
- une réelle sélection des informations présentées ; ou,
- un agencement original des informations.
Ainsi, un annuaire téléphonique dont les entrées seraient classées par ordre alphabétique ne sera pas considéré comme original tandis qu’une anthologie de textes sera tenue pour digne de protection dans la mesure où son auteur a procédé à un choix quant aux passages à publier et ceux à exclure.
1.3. Une tendance « englobante »
A l’aune de ces quelques illustrations, on constate que nombre de compositions peuvent prétendre à la protection offerte par la loi.
Dès lors qu’un choix créatif a été opéré par son auteur, la création peut être considérée comme originale. A ce titre, la jurisprudence reconnaît qu’une combinaison d’éléments non-originaux peut être considérée comme constituant une œuvre originale.
On constate donc que le critère d’originalité, au-delà de sa malléabilité, s’avère, de fait, particulièrement large et « englobant ». Une tendance qui n’est pas contredite par la condition de mise en forme.
2. Une œuvre « mise en forme »
La seconde condition de protection est la condition de mise en forme.
Celle-ci a principalement pour raison d’être le rejet de la protection des idées hors du champ de la loi sur le droit d’auteur : seule l’œuvre, son expression, son extériorisation sont protégées, et non pas l’idée qui en est à l’origine.
Ainsi, le romancier qui livre une analyse de la vie de Napoléon par le prisme de ses relations amoureuses ne pourra pas interdire à un tiers de choisir le même angle narratif. Par contre, il pourra protéger la formulation de son idée et quiconque reproduit le texte de son roman viole le droit d’auteur.
De même :
- un style architectural ou un courant artistique ne pourra pas être protégé,
- à la différence de tel monument ou tel tableau.
Seule importe la formalisation de la création. En cela, la mise en forme peut-être plus ou moins complète et plus ou moins détaillée : une idée peut avoir été mise en forme uniquement à l’état de plan (ex. : structure d’un ouvrage), ou, au contraire, avoir pris corps avec un luxe de détails. Chacune de ces formes a pu être admise à la protection. En cas de contrefaçon, une œuvre très détaillée aura toutefois l’avantage de présenter un grands nombre de points de comparaison potentiels avec le produit qui en est la copie, ce qui peut simplifier par la suite l’effort probatoire de l’auteur de l’œuvre originale.
Les modalités de la mise en forme sont indifférentes. Romans, pièces de théâtre et recueils de poèmes sont protégés, de même que les œuvres musicales et audiovisuelles, les chorégraphies et les œuvres architecturales.
La composition graphique, même infographique et informatique peut également être protégée, de même que tout code ou tout langage (langue étrangère, portée musicale, braille) sans que la qualité du support n’entre en jeu ; des interventions orales peuvent également être protégées.
Le genre de la création n’importe pas non plus : une note juridique, un document publicitaire et un manuel peuvent indistinctement être protégés.
Ce bref aperçu des conditions d’existence du droit d’auteur devrait permettre à chacun de comprendre nos prochaines notes relatives au droit d’auteur. Qu’il suffise ici de préciser l’intérêt qu’il y a à faire valoir ses droits d’auteur : le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre (qui en est souvent, mais pas toujours, son auteur) se voit conférer, de par la loi, la possibilité d’interdire à tout tiers de reproduire, adapter ou traduire son œuvre sans son autorisation. De la sorte, l’auteur demeure le seul maître de l’œuvre et se trouve en position de force pour négocier une rémunération en contrepartie de l’usage qu’un tiers (producteur, éditeur, …) se propose de faire de sa création.
Des questions ? Vous souhaitez en savoir plus ?
Contactez-nous[1] Nous respectons le « droit de paternité » de l’auteur et mentionnons ici que le mot « protégeabilité » est, à notre connaissance, l’œuvre de la Cour de cassation française qui l’a créé à l’occasion de sa jurisprudence du 2 mai 1989… consacrée au droit d’auteur [2].
[2] Les juristes sont souvent considérés par leurs proches comme étant trop enclins à « l’humour de juriste » (formule généralement à prononcer dans un soupir, les yeux au plafond), ne faisant rire qu’eux-mêmes ou leurs semblables. A cela, il faut répondre que l’humour en vase clos est, somme toute, un travers commun à de nombreux microcosmes (pensez à l’humour « geek »). Quant à nous, nous essaierons de limiter ces allusions dans nos prochaines notes afin de ne pas rendre notre propos trop cryptique, mais assumons et poussons la vanne juridique encore plus loin, en infirmant la remarque formulée en note[1]: à supposer même que la Cour de cassation ait fait preuve d’originalité en formulant le mot « protégeabilité », ce terme ne peut être protégé dans la mesure où l’article 8 §2 de la loi sur le droit d’auteur dispose que « Les actes officiels de l’autorité ne donnent pas lieu au droit d’auteur. »
[3] Google fournit à l’envi des réponses aux recherches sur « humour de juriste ». Voyez par exemple ici ou ici.
[4] Pour ceux que cela intéressé, mentionnons que la jurisprudence, après avoir étrangement vacillé dans un arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2012 (ARTESSUTO), et après plusieurs détours européens, est revenue à son point de départ dans un dernier arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2012, (M-DESIGN BENELUX) et requiert à nouveau qu’une œuvre, pour être protégée, doit porter « l’empreinte de la personnalité de son auteur ».
Pour la jurisprudence européenne pertinente, voyez notamment :
- CJUE, 16 juillet 2009, C-5/08, Infopaq(reproduction d’extraits de texte) ;
- CJUE, 1er décembre 2011, C-145/10, Painer (photographie);
- CJUE, 22 décembre 2010, C-393/09, BSA (programme d’ordinateur) ;
- CJUE, 4 octobre 2011, C-403/08, Premier League (radiodiffusion) ;
- CJUE, 1er mars 2012, C-604/10, Football Dataco (base de données);
- CJUE, 2 mai 2012, C-406/10, SAS Institute Inc (programme d’ordinateur) .;
Au final, le droit européen consacré la solution traditionnelle belgo-française, selon laquelle « une création intellectuelle est propre à son auteur et est protégeable lorsqu’elle « reflète la personnalité de celui-ci, ce qui est le cas si l’auteur, lors de la réalisation, a pu « exprimer ses capacités créatives », effectuer des « choix libres et créatifs » et imprimer ainsi sa « touche personnelle » à l’œuvre (Painer, para. 89, 90 et 82).